/!\ Réveil et duel... /!\

Ses yeux s'ouvrirent.

« Longinus mon ami, mon frère... »

Kyle... Il était là, le coup de feu, le choc à la nuque et puis la chute. Enfin son sourire, traître infâme qu'il était. Le poing de l'homme se serra tandis que les évènements revenaient en une attaque mortifiante. Il se redressa, quelques feuilles mortes glissant le long de ses vêtements. Sa main vint sur son visage, et les deux doigts remirent en place sa paire de lunettes, intacte.

Il était ainsi, assis sur un tas de feuilles mortes humides. Il faisait sombre, et les arbres alentours se faisaient hymne au glauque. Où était-il? Il n'en savait rien, mais cela ne semblait pas le troubler. Kyle... Seul ce nom résonnait dans son esprit blessé, et la vengeance. Une vengeance acerbe et cruelle, quand il abattrait ce fils de chien. Il jouirait à ce moment là, il savait même ce qu'il dirait:

« Sois puni par le mal que tu as fait,
sois châtié par ta propre trahison !
Ainsi tu te rendras compte
combien c'est amer et mauvais
d'abandonner le Seigneur ton Dieu,
et de ne plus reconnaître mon autorité,
déclare le Seigneur,
le Dieu de l'univers. »

Il le hurla presque dans la clairière, jubilant d'avance la fin tragique de celui qui l'avait trahi, son Judas, sa prochaine victime.

Il épousseta alors son grand manteau clair, puis se leva sans oublier de ramasser son grand couvre-chef. Il le posa délicatement sur le crâne, tout en souriant, un sourire derrière lequel aucune émotion ne semblait réellement transparaître.

Ses bottes se levèrent l'une après l'autre, s'éloignant du boueux de l'endroit. Quel endroit détestable, il en frémit un instant. Il avait toujours été l'enfant de Paris la merveilleuse, alors comment imaginer pareil endroit? Il fit quelques pas, puis revint en arrière, ne sachant trop par où aller. Ses yeux étaient tout à coup plus attentifs à la clairière elle-même, et les alentours semblaient des plus sinistres. Les bois, ou plutôt la forêt avait l'air profonde, et quelques crissements de branchages ou alors de déplacements de feuille morte suggéraient la présence de créatures vivantes. Il pouvait aussi bien évidemment s'agir du vent, mais son souffle était faible.

Longinus rattacha bien sa chevelure de blé, puis entreprit de partir dans une direction, probablement le nord, bien qu'il n'en avait pas vraiment conscience. Mais à ce moment précis, la main du jeune homme fondit tel le rapace en chasse sur la garde de son arme, avant de dégainer prestement le revolver. Le bras tendu vers l'autre extrémité de la clairière n'eut pour seul effet de faire un silence total dans l'endroit. Quelqu'un d'extérieur eut pu croire qu'il pointait le vide, mais lui savait. Il ne regardait qu'à peine le canon, sachant parfaitement ce qu'il visait.

La scène resta ainsi figée un long moment, lui droit, sans un mot, sans une expression rappelant le doute ou la peur. Sa cible restait invisible, parmi les fourrés hermétiques. Les secondes s'écoulèrent, devenant minutes...

Finalement ce fut la créature qui s'ennuya et jaillit dans la lumière. Le ciel nuageux ne permettait que difficilement de la distinguer précisément. De silhouette gigantesque, on eut tout d'abord dit un ours, mais quelque chose clochait pour ainsi dire. En effet, le déplacement était trop rapide, les pas trop précis. La « chose » s'avança alors, et il devint rapidement évident qu'elle avait des traits humains, lesquels se mélangeaient avec une apparence d'animalité bestiale. Le monstre sourit, et s'exprima alors, en parfait français:

« Allons mon mignon, range moi ça. Si j'voulais ta tête, elle serait déjà sous mon bras... »

Longinus ne tangua pas un seul instant, même si la surprise était à demi dissimulée dans son regard, masqué par ses lunettes. Il répondit alors:

« Pour qui te prends tu, misérable prétentieux?
Ton faible pour la vantardise est hasardeux.
Disparais où je devrais moi-même te tuer,
Méprisable créature sans dignité. »

Un grognement parcouru la gorge du monstre, comme si la colère grimpait en lui. Il se cogna le torse du poing, ou plutôt de la patte, avant de s'exprimer, moitié grognant, moitié hurlant.

« Charogne, j'devrais te faire la peau. T'étriper, te massacrer jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une chaire flasque à la place de ton putain de minois. Si seulement Cold... Raaaaa, je te tuerai, je te tuerai, tu vas souffrir, mais pas maintenant. Je te le pro... »

La déflagration résonna longuement dans la clairière, les oiseaux s'envolant à tire d'aile. Tout fut aussitôt plus calme, comme si toute vie dans la forêt s'était figée en cet instant précis. Un peu de fumée sortait du KMK de Longinus, alors que de sa deuxième main il recoiffait sa chevelure. La balle n'avait pas fait dans le détail et s'était logée dans la joue gauche de la créature. Pourtant celle-ci resta debout, n'ayant même pas fait le moindre son au moment de l'impact. Le mercure du projectile commençait déjà à se répandre dans la chair de l'homme-ours, mais cela ne semblait pas à même de tuer la créature. Longinus voyant la chose rester debout ne peut retenir un « huh? » à la fois étonné et intéressé.

« Enfoiré, et le pacte? Raaa tu l'as cherché! »

Le géant hurla de tous ses poumons, une lame venant se loger dans sa main. Il chargea alors, et les détonations firent fuir les derniers oiseaux nichés dans les arbres voisins. Aucun coup ne fut manqué, et le visage du monstre était défiguré par quelques quatre balles dont le poison se répandait dans le sang. Pourtant la créature ne s'arrêta pas, et en un bond fut au niveau de Longinus, le dominant de toute sa taille. Sa main gauche projeta l'humain contre un arbre à quelques mètres, l'arme de celui-ci atterrissant sur le tapis feuillu. Le tueur resta un instant immobile, un instant de trop car aussitôt l'épée de son ennemi traversa son ventre, le clouant à l'écorce du pilier brun. Le sang aussitôt rejaillit dans la bouche de Longinus, qui ne put s'empêcher de le cracher.

« Alors enfoiré, ça fait quoi? Jvais te dépecer, ça va être long! »

La créature était proche de l'assassin, qui pouvait sentir son haleine fétide. Il pu aussi remarquer que la gorge du démon était offerte, et qu'une magnifique artère attirait l'appétit. D'un geste vif sur le poignet droit, il fit apparaître le six-coups de secours. Le canon vient se loger sur la gorge de la chimère:

« Aaron s'approcha de l'autel et égorgea le veau qu'il offrait pour son propre pardon. »

La terreur se greffa sur le visage de la victime, mais la détente fut pressée de nouveau. Le chien se dressa, puis alluma la poudre, faisant fuir la balle. Le même traitement continua, plusieurs fois sans que le pistolet ne bouge d'un pouce, si bien que toutes les attaques pénétrèrent au même endroit. La peau rugueuse et puissante de la créature ne permit pas de stopper les balles d'aussi près, et le sang se versa, coulant sur le torse poilu de l'abomination.

Finalement la chose tomba sur le sol, inerte. Longinus saisit la lame qui le retenait toujours, et serrant les dents la sortit de son corps et de celui de l'arbre. Sa fureur éclata alors, et il saisit l'arme par la garde avant de l'abattre sur le corps gisant à ses pieds, ce corps qui avait failli le tuer quelques minutes plutôt. Puis la lame ressortit de la chair, avant d'y entrer de nouveau, puis encore, avec force. La blessure de l'humain se faisait plus grave à chaque coup, et pourtant il continua, encore, et encore, frappant ce qui devint bientôt une masse sanguinolente, de la chaire flasque et sans vie. Les muscles, les entrailles, les os, le sang, tout était broyé, malaxé dans une pâtée immonde qui se répandait sur le sol de la clairière. L'odeur était infecte, une odeur de mort répugnante... Dans tous les cas, le tas rouge devant lui serait très bientôt un engrais des plus appréciables pour la flore locale. Elle devrait aussi attirer les créatures rôdant dans les parages, surtout que la discrétion n'avait pas été de mise.

Longinus quitta donc son ennemi, et alla saisir son arme qui gisait dans l'herbe. Il fit encore quelques pas puis s'effondra, la blessure étant plus profonde qu'il ne voulait bien l'admettre. La scène dans tous les cas étaient des plus cruelles, la mort planant sinistrement sur l'endroit...

Une silhouette frele et gracieuse sortit de l'ombre. Ondulant avec une grace féline, elle s'approcha du lieu de la tuerie...

-Eh bien... Souffla-elle. En voila deux qui n'ont pas respecté le pacte.

Elle s'approcha de Longinus, et la lumiere diffuse eclaira fugacement son physique délicat, comme une apparition. Elle se pencha vers l'homme.

-Ce cretin n'a eut que ce qu'il méritait... Mais toi... tu m'as l'air un peu trop orgueilleux...

Elle s'accroupit prés de lui.

-Sache qu'ici, discretion et humilité sont gage de survie... Tu as de la chance qu'un pacte aie été conclu... Car sinon je t'aurais dévoré sans etat d'ame...

Elle vit passer une lueur d'etonnement dans le regard de l'homme.

-Eh... oui, je suis une chimére, comme cet imbecile que tu as assassiné... Mais ne te fie pas aux apparences... Je suis bien plus forte que lui...

Maryam eut un petit sourire.

-Alors, je t'aide ou tu préfererais creuver plutot que de refuser l'aide de ce que tu consideres comme un monstre? Le choix t'appartient... Mais sache que si tu meurs, je n'hesiterai pas à te dévorer... Nous n'avons plus le droit de vous tuer, et vous non plus, mais rien ne nous empeche de vous devorer si vous etes deja morts...

Des paroles si dures sortant de la bouche d'une jeune fille qui semblait si pure...

Longinus ne perdit pas conscience tandis que son sang lentement se déversait dans la clairière. Il savait qu'il n'aurait pas du étancher sa soif de vengeance aussi violemment, au risque de perdre la vie, mais il ne supportait pas qu'un inférieur aie une mort digne. Le tas de chair n'était que ce que le monstre méritait, même si son tueur payerait sa violence par la mort probable.

Puis l'étonant arriva, alors qu'une créature des plus inattendues apparut. Une lumière pâle éclaira la nouvelle arrivante un instant, lui donnant un teint fantomatique qui attira l'attention de Longinus. Une jeune fille, habillée dans un style purement oriental et semblant très pure.

Les paroles qui découlèrent furent des plus étonantes... Tout d'abord elle parla d'un pacte, et sans ce pacte elle l'aurait dévoré. Il ne comprit pas ces mots, demeurant perplexe, luttant en même temps pour rester en vie et pour garder sa concentration.

Une chimère... Longinus avait déja entendu parler des chimères antiques bien évidemment, mais il n'avait pas souvenir qu'elles prenaient de telles apparences... Pourtant demeurait la notion de nourriture que l'être humain prenait à son contact... L'homme ne savait que penser.

Puis le point vraiment le plus étrange et paradoxal de la sombre tirade de la jeune fille, de la "chimère" comme elle-même se nommait: la proposition d'aide... Longinus ne comprit vraiment pas... Et puis pacte, entre qui, il l'ignorait.

Il répondit alors, sans se départir de son flegme naturel:

"Je ne vois pas en quoi un "monstre" vous seriez,
Si ce n'est par ce nom que vous vous attribuez.
C'est dans l'âme que faible était mon ennemi,
Jamais je ne saurais vous comparer à lui.

Mourir en ce lieu n'est pour moi pas souhaitable,
Et ainsi je prie que vous soyez charitable."

L'homme se redressa l'égèrement, usant de la force de son bras droit tandis que le gauche tenait sa blessure.

"Puis-je demander votre nom, Dame Chimère?
Longinus et le nom que me donna mon Père."

Il gardait un sourire assez surprenant, et finalement semblait ravi de la situation. Il pourrait peut-être garder la vie, certes pas par lui-même, mais le destin lui souriait. Il aurait gardé le dogme catholique il aurait pensé à l'apparition du démon, mais pour lui il ne s'agissait que de brebis égarées... Il avait sacrifié l'agneau, et on l'aidait pour que sa mission se réalise... Il pourrait tuer Kyle s'il survivait, alors il allait survivre, coûte que coûte...

Maryam soupira.

-C'est bien la premiere fois qu'on me qualifie de Dame...Et puis arrete, tu m'agaces avec tes rimes...

Elle se pencha sur lui, ses longs cheveux d'ebene caressant la joue de l'homme. Elle les repoussa en grognant.

-Reste un peu tranquille, tu vas agraver ta blessure... Enfin ... Je me presente... Ryam, chimere d'elite sous les ordres de Cold... Autrefois, on m'appellait Maryam, quand je n'etais qu'une simple petite humaine... Visiblement tu es nouveau... Allonge toi sur le dos que je voie ta plaie.

Elle examina l'ouverture sanglante.

-Hmmm... C'est serieux, mais si tu arretes de te vider, tu n'en mourras pas...

Elle lui dechira la chemise sans menagements, se servant des lambeaux pour eponger le sang. Elle retira ensuite son obi dont elle se servit comme d'un bandage, qu'elle enroula autour de la plaie.

-Ca devrait aller... Si tu te calmes un peu...

Elle retira le ruban qu'il portait dans les cheveux et rattacha son yukata avec.

-Donnant-donnant. Et maintenant, que je t'explique ou tu es... Ici, nous sommes à Hollow Dream. Tu as du entendre parler du grand débranchement? Les premiers à etre arrivés ici en sont issus. Je dois etre là depuis une trentaine d'années environ. Tu as de la chance d'etre arrivé maintenant. Un pacte vient d'etre conclus entre les chimeres et vous autres, contre les Ombres...

Elle soupira avec lassitude, comme si cela l'ennuyait de discuter avec un humain...

Les paroles qui suivirent furent ce que Longinus attendait... Elle avait beau avoir une force évidente, cette créature était comme toutes les autres, incapable de comprendre l'essence du monde... Elle venait de perdre tout l'intérêt qu'il aurait jamais pu lui trouver, devenant pour lui de nouveau un agneau.

Il ne répondit pas, et n'en montra rien, se contentant d'écarter le visage quand les cheveux de la chimère l'atteignirent.

Elle se présenta finalement, Ryam... Et le nom de Cold revenait, déja le monstre l'avait prononcé avant le combat. Un nom assez ridicule se dit Longinus, mais qui semblait marquer les lieux et ses habitants.

Finalement le guerrier écouta les recommandations de Ryam et s'étendit sur le dos, ne laissant pas la douleur transparaître sur son visage. Il eut à peine une crispation quand les mains de la chimère arrachèrent l'étoffe, mais personne ne saurait dire s'il ne souffrait pas plutôt de voir pareille soie réduite en charpie.

Elle le banda sans un bruit, puis finit par détacher ruban de l'homme, libérant la chevelure de blé de Longinus avant de rattacher ses propres atours avec. Ryam essaya alors d'expliquer ce qu'était cet endroit, et son nom: "Hollow Dream". Puis quelques mots flottants, à propos de pacte, d'ombres, et d'autres propos qui sonnaient étrangement aux oreilles de Longinus. Mais cela ne l'intéressait pas.

"Acceptez tous mes remerciements pour votre aide."

Il resta un moment alors sans mot dire, dans un silence qui aurait été gênant pour plus d'un, mais lui ne s'en préoccupait pas, il écoutait... Le monde s'adressait à son Seigneur, l'appellant pour qu'il vienne apporter la félicité éternelle, qu'il soit le poing armé de la justice qui fracassera avec grand bruit ce maudit traître...

"Si vous vivez ici, c'est très probablement
Qu'il n'y a pas de sortie véritablement..."

Il pensa alors un instant de plus, et les mots Saints résonèrent dans sa bouche, flot doré incitant à l'espoir:

"Fais-moi sortir de ma prison, pour que je puisse te louer
au milieu du cercle des fidèles, quand tu m'auras fait du bien."

Une prière qui aurait été pieuse dans toute autre bouche que la sienne... Lui il cherchait juste comment il allait se venger... il ne pensait qu'à celà, et rien d'autre n'importait plus...

"Connaissez-vous les Saintes Ecritures Ryam?
Au nom de Dieu prendre le Sang et prendre l'âme..."

Il essaya alors de bouger, mais il était clair que cela ne lui était pas possible pour le moment. Etendu il resta donc, souriant froidement, sans qu'aucune émotion ne perle dans son regard. Ses mots n'étaient pas clairs, il le savait, mais il n'en avait que faire. Il avait sa réalité, la seule l'unique qui comptait, et il avait:

"Kyle..."

Mot unique dans sa bouche, qui contenait toute la haine délicate qu'il entretenait...

Maryam se rendit bien compte que l'homme n'en avait rien à faire de ce qu'elle racontait.

-Arrogant et pretencieux, tu t'imagines pouvoir tout changer ici... Mais aucun humain n'a jamais quitté Hollow Dream... Il devient ombre, chimere, reste humain et meurt, de vieillesse ou tué par une chimére ou une ombre.
Et oui, je connais les ecritures. Lorque j'etais humaine, j'etais catholique... Mais Dieu ne peut rien pour moi, ajouta-elle avec une legere grimace.

Elle s'ecarta de Longinus.

Ce que je peux detester ce genre de personne... Si imbus d'eux-meme et persuadés qu'ils ont raison...

Elle se tourna vers lui.

-Au passage, j'ai beau etre une chimere, un "monstre", je sais que tuer "au nom de Dieu" n'est qu'un moyen de se donner une excuse. Si je me souviens bien de ce que l'on m'a enseigné, les commandements stipulent que "tu ne tueras point". Tu t'imagines le bras de Dieu, alors que tu n'es qu'un assasin de plus... Forcement, c'est moins glorieux.
Ici, tu as plutot de la chance finalement... Tu peux tuer tant que tu veux, on ne te dira rien... Mais n'oublie pas que "ton" Dieu n'absous pas les meurtriers...

Elle s'assit sur les genoux un peu à l'ecart, à la Japonaise, et resta là sans rien dire, immobile, le regard fixé sur la depouille sanglante de la chimére.

Longinus resta perplexe un instant en écoutant Ryam, et même s'il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle disait, son discours semblait cohérent. Mais Dieu autorisait la mort, indubitablement, il la souhaitait même, il voulait la mort de Kyle comme il avait voulu celle du monstre occis peu avant.

Cependant, pour tuer Kyle il ne pouvait rester en ce lieu, et là les paroles de Maryam étaient des plus décontenançantes. Comment en effet pouvait-il accomplir sa vengeance s'il était dans un monde différent de celui de son ennemi? Il ne pouvait que le tuer en face à face, et sans face à face, pas de vengeance...

"Alors Moïse dit aux lévites : « Aujourd'hui, vous avez été consacrés au service du Seigneur, puisque vous n'avez pas hésité à tuer même vos fils ou vos frères. Que le Seigneur vous accorde donc sa bénédiction en ce jour. » "

L'ironie lui plaisait... La mort était au centre de tout en ce monde, c'était elle qui donnait un sens à la vie et qui prenait tout. Longinus aimait la mort, celle des autres, elle était son amie. Il ne la craignait pas, même s'il ne la souhaitait pas. Il devait se venger, et ce ne serait pas depuis l'au-delà assurément.

Finalement la chimère s'installa face à la masse flasque et saignante qui fut autrefois une créature semblable à elle, sans doute pour se recueillir se dit Longinus. Il n'aimait pas ces pathétiques rituels tout ce qu'il y'a de plus humains au fond. Il n'aura pas reçu l'absolution, mais il ne méritait rien d'autre que la souffrance. Peut-être errera t-il dans les limbes pour l'éternité...

"C'est moi qui apporte le salut,
moi aussi qui l'annonce
et qui le fais savoir ;
ce n'est pas un dieu étranger
qu'on trouverait chez vous.
Vous êtes témoins que je suis Dieu,
dit le Seigneur."

Longinus s'amusa sur la fin de la citation, sachant pertinament qu'il n'apportait pas le salut à tous...

Il finit par s'étendre, laissant la plaie se refermer petit à petit. Il n'avait plus besoin de s'exprimer, ni l'envie d'ailleurs. Il restait à ressasser comment il tuerait son ennemi, et cela le faisait sourire cruellement.

Maryam cessa d'ecouter ce bonimenteur qui lui rebattait les oreilles de preches inutiles pour justifier sa propre mégalomanie. Elle fixait la masse sanguignolente qui se tenait devant elle, essayant de reconnaitre la chimére. Mais elle abandonna. apres tout, elle ne les connaissait pas toutes, mais si elle rapportait à Cold qu'une chimére etait morte mais qu'elle ignorait qui, il y avait fort à parier qu'il y aurait des recherches à faire...

Tant pis, cet evenement restera connu de moi seule alors...

La faim commençait à la tenailler, et toute cette chair qui n'attendait que ses crocs...

Sous les yeux du precheur assassin, une etrange metamorphose opéra. En quelques secondes, Maryam avait cédé la place à Ryam... Yeux d'ambres, queu et oreilles de renard, griffes et crocs acérés. Son physique juvénile n'etait pas alteré, mais elle semblait une tout autre personne.

Elle se tourna vers Longinus.

-C'est le cycle logique... A la premiere remarque déplacée, je t'égorge...

Puis elle se pencha sur le cadavre de la Chimere et arracha à la main un lambeau de chair qu'elle porta à sa bouche.

Les faits qui suivirent fûrent des plus inattendus pour Longinus. En effet, alors qu'il la croyait en train de prier ou autre, Maryam se transforma sous ses yeux. La chair si humaine devint celle d'une bête, prenant des traits de renard, les mains perdant leur fragilité, une queue poussant, des crocs remplaçant les dents fines et des oreilles rappelant le canidé rusé. Longinus était impressioné. Dans son monde les êtres n'ont pas cette faculté, et celle-ci était tout à fait grandiose...

La remarque de la chimère le fit frissonner. Non pas qu'il aie eu peur, ce n'était pas dans ses habitudes, mais au contraire parce que la voix restait agréable. On aurait pu croire un ange qui dans sa déchéance avait pris les attributs du renard pour se venger... Une envoyée des cieux...

Elle commença alors à dévorer la chaire putride du cadavre, sous les yeux étincellants de l'humain qui ne pipait mot cependant.

Un appetit dévorant prit alors Longinus aux entrailles... Il aurait aimé imiter Ryam, allant dévorer son ennemi... La faim le tenaillait, une faim maladive et cruelle. Il n'avait jamais mangé les morts, mais devant la ferveur de la créature si dangereuse qui se tenait devant lui, il le désirait.

Mais il savait qu'elle ne partagerait pas, c'était son moment à elle, et il laissait le désir se répandre en lui en sachant qu'il ne le satisferait pas, pas cette fois-ci. Cette douce torture lui plaisait, un jeu, comme tant d'autres...

Il attendit donc qu'elle finisse, sans mot dire, sans rompre la magie d'un tel moment...

Lorsqu'elle eut terminé son repas, Ryam s'essuya la bouche d'un revers de main et repris son apparence humaine. Elle retourna vers Longinus, un morceau de chair dans la main, elle le tendit dans sa direction.

-Tiens, c'est ta proie aprés tout.

Elle jeta la piece de viande sur son torse, sur lequel il s'ecrasa en emettant un bruit mou.

-T'as interet à manger si tu ne veux que ta blessure cicatrice. Il avait beau etre stupide, il n'en restait pas moins trés fort...

Elle se rassit sur les genoux et observa les alentours.

La chimère finit de dévorer la masse sanguinolente sous les yeux de longinus, les seuls laissant transparaître sa faim. Il ne dit pas un seul mot pendant tout ce rituel si excitant à ses yeux.

Finalement Maryam redevint humaine en apparence, et elle s'approcha de l'humain, lui lançant un bout de la viande fraîche. Les yeux de Longinus s'enflammèrent tandis qu'un peu de sang avait tâché son torse.

Puis tout changea, c'était comme si les cieux s'éclairaient. Longinus saisissait la chair ruisselante, le sang coulant entre ses doigts, et en lui il sentait la chaleur, son estomac appelant la nourriture... Dieu se repaissait des brebis égarés, et sans un mot il approcha la chaire de sa bouche. l'odeur était prenante, celle du cadavre encore frais, et les machoires du guerrier s'écartèrent. Ses dents happèrent la rouge vif, et ce fut comme un extase, un orgasme divin alors que le sang coulait dans sa gorge.

Il mangea jusqu'à l'os, sa langue s'enroulant avec une ferveur toute religieuse sur l'artefact blanc de sa victoire...

Finalement il revint à lui, sortant de sa transe, et il posa les yeux sur Ryam, qui guettait la lisière. Il était en effet très possible que des ennemis soient proche, ces ombres dont elle parlait.

"Le sang d'Abel se répandait sur le sol froid,
Tandis que Caïn s'en repaissait sans effroi.
Je vous remercie pour ce met si savoureux,
Je n'avais jamais rien goûté de plus onctueux..."

Il s'en léchait encore les doigts, sentant la force de la créature dévorée entrer en lui...

Elle se tourna vers lui, le regard légerement méprisant.

-Bah écoute, si ça t'a plu... Au moins, tu t'habitueras vite à la nourriture du coin, les humains ont du mal en général.

Elle scruta encore un moment les alentours.

-Bon... Il n'y a personne, donc tu ne risque pas de te faire dévorer le temps que j'aille boire.

Elle reprit son apparence de chimere et quitta Longinus pour revenir quelques minutes plus tard, sortant d'un fourré, comme une apparition...

Maryam, après une remarque, décida d'aller boire. Elle prit sa forme bestiale et en un instant disparut dans les fourrés non loin, laissant pour la première fois Longinus seul véritablement.

Le silence fut alors très différent de tout autre silence, la forêt laissant suinter la peur de ses habitants, ou leur fureur selon qu'ils soient prédateurs ou proies...

Mais Longinus restait de marbre, pensant à ci et à cela... il avait encore le goût de la chair dans sa bouche, et s'en délectait encore... Mais il pensait aussi à la dernière pièce de théâtre qu'il avait vu à Paris, avant la trahison. Il avait toujours aimé le théâtre, ces acteurs qui incarnaient des personnages héroïques ou pathétiques, les faisant vibrer de vie et leur imposant le destin tout tracé par le scénario... C'était la plus parfaite représentation de l'oeuvre divine...

Il aimait aussi le cinéma... Tout y était exactement comme le réalisateur le voulait, c'était là encore l'exemple typique de l'imposition de la volonté suprême sur les vivants... Tout dans ces arts n'était qu'hymne à sa propre puissance, et il aimait cela plus que tout...

C'est alors que Ryam revint, à la manière d'un fantôme. Il n'était pas heureux qu'elle soit là, mais pourtant elle ne le dérangeait pas. C'était une sensation très rare chez lui, une sorte de faveur qu'il lui adressait... Il ne montra donc pas de signe d'agacement ou autre, se contentant d'un signe de tête, reflet d'un acte sociable des plus improbables chez un humain tel que lui.

Pour Maryam, ce n'etait pas vraiment une partie de plaisir que de "s'occuper" de ce precheur à deux sous. Si ce n'etait le pacte, elle l'aurait laissé mourir. Mais elle avait vu sa maniere de se battre, et estimait que ce fanatisme meurtrier pourrait leur servir dans leur combat contre les ombres....

Elle s'adressa à Longinus:
-Bon, on va peut-etre pas prendre racine ici... Si je veux pas que tu te fasse dévorer aprés tous les efforts que j'ai faits pour t'empecher d'y passer, il va falloir que je t'emmene dans la Taniere...

Elle soupira d'agacement.

-Va falloir que tu marche... J'ai beau etre assez forte, je vais pas me creuver pour transporter un humain...

Ce dernier mot avait été accentué, avec un mepris évident, histoire de faire comprendre à Longinus que, meme s'il se prenait pour Dieu, il n'en restait pas moins un simple humain, un aliment pour chimére...

La tanière... Voilà un nom bien désagréable pour un habitat, cela rappelant aussitôt à Longinus les grottes aménagées par les loups ou autre espèces animales... Bref très inconfortable, humide, très loin de son rythme de vie habituel.

Maryam n'était pas décidée à le porter, ce qui d'une certaine manière l'arrangeait bien. Il était déja quelque peu endetté vis à vis d'elle, et il ne voulait pas que cette dette augmente de trop. Lui devoir la vie était amplement suffisant, plus commencerait à poser des difficultés de conscience s'il devait la tuer plus tard, ce qui serait des plus dommages.

Il entreprit donc de se lever, son visage ne grimaçant absolument pas malgré la douleur que le mouvement procurait. Il avait le teint pâle à cause du sang perdu, et sa faiblesse était évidente, mais malgré cela son expression ne le reflétait en rien.

Fléchissant les genoux il prit appui sur sa main droite, puis au prix d'un gros effort parvint à se redresser. La blessure menaçait de se rouvrir davantage à chaque geste, mais la chance fut de son côté pour cette fois.

Son premier geste fut de se débarasser des feuilles mortes qui s'en prenaient à sa soie déja bien abimée, et ce alors même que ses jambes tremblaient sous l'effort. Il se recoiffa aussi, mettant ses cheveux en arrière, les laissant détachés par la force des choses.

Il s'approcha alors d'un arbre non loin, et sa main se posant sur une branche basse il força un coup violent, la brisant net pour s'en faire une canne. La douleur était tout aussi violente, mais ne parvenant pas à le départir de son sourire si dérangeant.

"Nous pouvons y aller quand vous le désirez,
Je ferai au mieux pour ne point vous retarder."

S'appuyant sur la canne ses pas étaient en effet moins tremblants, et les mouvements étaient moins dangereux pour sa blessure.

Maryam jeta un regard narcois devant les bravades de Longinus. Ses pheromones le trahissaient. Tout son corps suintait la douleur.

Ca lui apprendra... Il va falloir qu'il s'y habitue... On n'est plus dans le monde reel là...

-Bon, suis moi.

Elle partit dans une direction connue d'elle seule, pressant Longinus d'avander plus vite. Elle savait pertinament que son orgueil démesuré l'empecherait de se plaindre et elle en profitait. Elle grognait si il ralentissait, le pressait d'avancer, prenant un malin plaisir a humeur les diverses pheromones qu'il emettait.

[Direction: Taniere des chimeres, les galeries.]