Nyx, Eris, Chang’e
Nom: Lene
Prénom: Rosalyn
Surnom: Simplement Rose ; bien qu’autrefois, beaucoup l’appelaient ‘la fille du bar, tu sais…elle, là !’
Rang souhaité: Nyx
Age du coma: 32
Temps passé à Hollow Dream: 27 ans
- en tant qu'humain: six jours
- en tant qu'Ombre: 27 ans
Ancienne profession: Pianiste de bar
Description physique Humaine déjà, Rose avait pour compagnon les recoins sombres du port ; au bar, elle était le pôle d’ombre qui attirait l’attention de la pègre, des damnés, des meurtriers et des pauvres, de ceux qui arpentaient les rues sans crainte et qui venaient en silence descendre leur whiskey au
Blue Lady. Peut-être est-ce l’âge, l’expérience, ou bien l’alcool et la précarité, mais ce lieu intemporel a déteint sur son habitante solitaire, assombrissant son visage pâle, sculptant ses traits racés, flouant sa silhouette longiligne et élégante.
De même que les êtres étranges et solitaires qui ont inspiré Rose, sa démarche éthérée est caractéristique de ceux qui ont tout perdu et n’ont plus grand-chose à craindre des mondes qu’ils arpentent. Son empathie particulière avec la cruauté et les terrains mal famés qu’elle aimait tant sillonner était si aigu, qu’elle semblait disparaître et se fondre dans les nappes de fumées ; intégrant le décor et l’ambiance comme seul un pianiste de bar expérimenté sait le faire : il s’agit de ne jamais jouer plus fort que la rumeur des verres, et de s’apparenter au mobilier au point où votre visage est oublié. Autant dire que la condition d’Ombre était ironiquement adaptée à l’élusive et discrète pianiste.
Son visage a peu changé, tout au plus ses défauts et qualités se sont intensifiées ; ses pommettes racées se sont affinées, ses joues amaigries se sont creusés, les cernes profondes assombries, les lèvres pleines plissées en une expression alanguie. Les marques causées prématurément par l’alcool se sont effacées sous la pâleur maladive de son teint, tandis qu’a contrario les anciennes brûlures qu’elle porte sur sa poitrine et son flanc droit sont d’autant plus visibles que sa peau est exsangue.
Ses prunelles,
fiévreuses et avides, obscurcies par de longs cils et des cernes maladives, ont regagné l’acuité que l’alcoolisme et la dépression leur avait ravi. Leur anormale lucidité est tangible et douloureuse.
Rose attache souvent ses longues boucles ébène en arrière au moyen d’un ruban incarnat. Naturellement élégante, elle aimait se vêtir de couleurs sombres, d’un style travaillé et intemporel ; sa garde-robe aura dû quelque peu évoluer selon celle de ses victimes. Du reste, Rose n’est pas de nature séductrice ; ses goûts vont aux masculines chemises blanches, pantalons cintrés et courts manteaux de velours – de préférence, propres. Sa couleur préféré est le pourpre. Elle a aussi conservé ses manies de pianiste, gardant ses longues mains délicates protégées de blessures et d’éclaboussures indésirables par des gants de velours. Peu fétichiste, Rose s’est débarrassée de ses possessions humaines : photos conservées dans une poche intérieure, broche, montre, bague de fiançailles …et ne possède rien de valeur sentimentale ou qui puisse attirer l’attention.
La pianiste a hérité de sa vie passée une voix rare et envoûtante, formée par des années à boire, fumer, et à accompagner son piano au
Blue Lady. Le caractère laconique et énigmatique de Rose ayant carrément explosé depuis son arrivée à Hollow Dream, elle n’a jamais rechanté en public et n’a évoqué son ancienne carrière qu’en des termes très allusifs et à de très rares occasions, bien que les textes et partitions qu’elle continue à rédiger malgré l’absence d’instruments trahissent sa nostalgie.
Toute velléité de charisme s’opposant au physique caméléon-décoratif de Rose, il n’était pas rare qu’on oublie son visage et sa présence. Curieusement, on se souvenait très bien de sa voix rauque et de l’odeur fruitée du tabac qu’elle fumait.
Description morale: Petite Rose était ce genre de gamine rêveuse et rusée qui ne manquait jamais de répartie et d’inventivité. Pour compenser sa vie médiocre et son manque d’éducation, elle prenait plaisir à inventer des histoires et des mensonges qu’elle racontait à son père et à ses mères ; des histoires qui présentaient les prémices d’une imagination vaste et tortueuse.
Jeune, l’expérience durement gagnée et une attitude tranchante et désillusionnée ont tari l’éloquence de la petite Rose, la rendant taciturne et secrète. La jeune femme abandonnait toutes relations…et toutes attaches. Depuis, Rose ne s’est jamais illustré par sa capacité à entretenir des relations sur le long terme, préférant par-dessus tout son indépendance et prenant la désagréable habitude de disparaître sans prévenir.
Plus dramaturge et metteuse en scène, peu actrice, un peu costumière, la pianiste est ouverte d’esprit et n’a pas de philosophies ou d’idées propres. Attirée par le changement et la nouveauté, elle aimait découvrir, mais n’a jamais été douée pour entreprendre des actions complexes et planifiées. Peu tenace, plutôt passive, Rose n’allait jamais jusqu’au bout de ce qu’elle commençait, se privant elle-même d’épanouissement par faute de but à poursuivre.
Fascinée par le caractère humain et les histoires tordues de ses pairs, Rose transformait en poésie un peu barrée tout ce qu’elle touchait, travaillant des heures sur ses écrits, parfois s’enfermant des jours sans donner signe de vie. Elle en ressortait la plupart du temps insatisfaite, mais sa passion reprenant le dessus, elle pouvait sortir de ce fatras de feuilles et d’écriture saccadée les mots et les sons qui faisaient chialer le barman et surtout le serveur lorsqu’il l’accompagnait au violoncelle.
Elle avait un goût prononcé pour les chansons d’amours dérangées. Ses personnages connaissaient tous l’enfer pour y être promis. La mort n’était pas une limite, et le désordre se mêlait au génie.
Hollow Dream n’était-il pas, au final, un enfer ironiquement adapté à la sensibilité macabre de Rose ?...Bien que peu morale, Rose était loin, humaine, de se présenter comme une femme cruelle et une meurtrière. Cynique et captivée par la douleur, peut-être ; Loin aussi de se laisser impressionner ; son état d’Ombre aura transformé ses habitudes. Fascinée par la dépravation humaine et sa jalousie perverse, Rose n’a pas gagné en agressivité…mais beaucoup en patience et en cajoleries sensuelles et malveillantes ; le genre qui pavent l'enfer de très vilaines intentions.
Malgré le passage des années, la pianiste a conservé sa conscience, résistant placidement aux frôlements de la folie, et se complaisant dans l’amertume douloureuse qui est le lot des siens. Impossible de savoir réellement ce qui se passe derrière ce visage assombri par une maladie inexistante ;
il n’est de toute façon certainement pas souhaitable de s’aventurer trop loin dans l’esprit d’un résident de la Vallée.
Histoire: « Et alors est surgi de la mer…un bateau pirate ! »Mexique, sable, terre, bâtiments délabrés. Je me rappelle du visage de mon père. C’était un jeune Américain lors de la seconde guerre mondiale. Il caresse encore le souvenir palpable de cette amante implacable qu’est la misère humaine ; une joue droite purulente, brûlée à vive. Sa paupière est ravagée, il n’a pas de cil ni de sourcils, sa mâchoire est déformée. C’était dommage, il était beau garçon sur les photos que j’ai vu. Mais à ce qui paraît je tiens tout de ma mère, une Européenne. Peut-être. J’en ai beaucoup, des mères. Papa en achète à la pelle. Parfois deux par soir. Dernièrement il s’est épris d’une nouvelle maman, avec de longues jambes et la peau claire. Elle a l’air belle, mais j’ai vu, elle porte plein de marques bizarres sur les bras et les jambes. Quelque part c’est elle qui me ressemble le plus. Je ne me rappelle pas de son nom. Ni de celui de papa d’ailleurs. Juste de son gros œil tout brillant et tout mouillé, un soir d’octobre
« Où pars-tu ? »
« En voyage. »« Jusqu’où ? »Oui, il avait cet œil encore intact, si jeune, si pur, si naïf, si sombre. On l’aurait dit parcouru de petites araignées rouges. L’alcool. Les tâches rouges sur son corps ? La syphilis.
« Jusqu’où ? »Ça, c’est le visage de maman-bis : La sœur de la première maman longue-durée. Plus jeune, mais elle a le visage d’une vieille pomme ridée. Pas beau à voir hein ? Dysenterie. Je m’en rappelle, à cause de l’odeur. Un corps liquéfié, qui ne pèse pas plus lourd qu’une plume mais qui ne se relèvera jamais. Et cette honte inscrite sur chaque ride.
Désolée, toutes mes condoléances. De toute façon, Maman est morte plusieurs fois.
Jusqu’où…ah…
Pourquoi leur répondre ?
Ils me posent tous la même question.J’ai trouvé la réponse mais je ne me rappelle plus ma quête.Lorsque j’ai rencontré mon frère, bien des années plus tard, j’ai appris que papa s’était suicidé. Vers la fin de sa maladie il croyait revivre le Débarquement, victime de violents accès de démence qui défiguraient son visage déjà laid en hurlement encore plus laids. Lorsque mon frangin a commis l'erreur de faire vrombir sa moto il s’est éclaté la cervelle pour de bon. Personne n'aurait pu savoir que ça lui ferait penser à un shrapnel. Frérot a pleuré en me racontant ça. A ce qui paraît, je leur manque. J’en ai fais une chanson.
Ensuite je me rappelle de mon oncle. Un type bien, un Américain de Las Vegas chez qui j’ai passé quelque temps. Il m’a dit qu’il nous envoyait de l’argent. Je ne l’ai jamais vu son fric. Ou alors sous forme de bouteilles et de longues jambes basanées. Je n’ai rien dit. La charité le rendait heureux.
Je me rappelle de Las Vegas parce que j’y ai été arrêtée plusieurs fois. A cette époque j’étais typée garçonnière, c’était la mode. Un peu trop curieuse je me rappelle. Déjà une bonne bouteille dans le nez. On ne perd pas les mauvaises habitudes. On les change, c’est tout.
En tout cas c’est là que j’ai rencontré Jimmy et Helena. Des amis à moi, je crois. Je ne sais plus. Jimmy c’était mon pilote et parfois mon amant lorsque je le voulais bien, Helena la musicienne qui m’a enseigné et parfois mon amante lorsqu’elle le voulait bien.
« Mon père jouait de l’harmonica le soir. »On peut dire que j’ai pas mal voyagé. J’ai vu les USA, j’ai visité la France, l’Espagne, je suis retournée au Mexique natal, puis j’ai échouée à Londres. J’aurai bien voulu continuer mon tour du monde. J’allais mourir avant.
Je me demande pourquoi je finis toujours par partir. Il y a longtemps j’avais un but en partant. L’appel de la découverte j’imagine. Ça m’a toujours tenu aux tripes, plus que tout au monde ; je dois être un voilier fou et les vagues en même temps. C’est pour ça que je traîne tellement dans les ports ; pour mieux me jeter à la mer. Une dégénérée, en fait.
Je pensai à tout cela pour la première fois depuis dix ans alors que la cigarette fruitée se consumait entre mes lèvres.
« T’en aller ? Où ça ? »
Il est minuit. Mon moment préféré. Ce soir je ne bosse pas, je suis malade. Je vais toujours fumer sur mon balcon à minuit. Et Erwin le sait très bien. C’est pour ça qu’il est à son balcon lui aussi.
En y pensant, ça fait deux ans qu’il fait ça. Il n’a jamais arrêté. J’ai fini par bien aimer nos petit rendez-vous. Je veux dire,
je me sentais bien avec lui. « Je ne sais pas. Ailleurs. Loin. »
« Et le
Blue Lady ? Le patron va pousser une gueulante » objecte mon voisin.
Il a sept ans de moins que moi et ma compagnie n’est pas celle qui a dégradé son innocence juvénile. Je ne lui ai pas posé de question sur sa clandestinité et les armes qu’il gardait dans son appartement ; il ne m’en parlait pas et ne me demandait rien sur mes compagnons d’une nuit. La misère faite humaine par artifice charnel. Un type bien en somme.
Chacun sa pierre à porter.
Nous avons toujours été voisins, mais nous nous sommes vraiment rencontré au bar. A l’époque il faisait quelques trucs de ci de là. Il venait souvent m’écouter avec ses amis. Ils buvaient pas mal, le patron était content. J’aime bien mon boulot. Qu’est-ce que je raconte ? J’adore ça.
Je suis née un piano gravé dans le corps. J’imagine que ça pourrait remplacer le poids de ma stérilité.
« Ce n’est pas très grave. »
« Tu pourrais devenir connue tu sais. La clientèle parle pas mal de toi. »
« Ah ? »
Ce que j’aime bien chez ce type-là, c’est qu’il a très bien compris que je n’aimai pas mentir. Lorsque je pars, je pars. Il le sait, parce qu’il me regarde avec beaucoup de douleur. On lui a déjà fait le coup. Il est acculé à la solitude jusqu’à finir par apprécier ma compagnie. Il m’a inspiré quelques-unes de mes compositions préférées.
« Tu me manqueras. »Quelque part c’est drôle. J’ai passé mon temps à fuir le temps et aujourd’hui, il me revient au coin de la tronche. Je n’ai pas encore assez bu. Eh, je suis accro à la bouteille verte depuis tellement de temps.
Entre nous, j’ai la descente d’un diable sacrément lubrique qui n’a pas baisé depuis quatre mois et qui voit la succube de ses cauchemars apparaître devant lui. Pourquoi je pense à ça ? J’ai le cœur de traviole. Je ne sais pas si ça se dit. Je me sens mal. Plus que d’habitude je veux dire. Dépressive. Depuis quelques temps maintenant. Pourquoi ?
« Ouais. Je sais. »
« Tu vas aux USA ? »
Chicago l’avait toujours intéressé, à cause d’Al Capone. C’était une belle ville. J’ai commencé les piano bar là bas. A l’époque j’avais, quoi ? La vingtaine passée. Et une dose d’imagination comme on en fait pas deux sur Terre -Pour le bien de tous.
« Non. »
« Mes parents sont américains. Je ne les ai jamais vus. Tu sais, j’ai grandi à l’orphelinat. »
« Ah ? »
« Non, tu ne le sais pas. Ce n’est pas important de toute façon. Pas aux Docklands…pas dans la patrie d’Oliver.»
Ça avait l’air intéressant. Quel con, toujours à couper une bonne histoire au moment où je m’y intéresse. Enfin. Je trouve toujours quelque chose d’intéressant à faire avec le rien qu’on me donne.
« Comment dirais-tu ça ? « ça va aller ? » Les dieux parfois tombent par la main des simples humains…