Bienvenue dans le septième cercle des enfers

...Mal... Il avait mal... Tellement mal... Il était dans le noir, il n'arrivait plus à respirer... Tout son corps le faisait souffrir le martyr. Dans sa tête, la Voix continuait son babillement infernal. Il n'en avait cure. La douleur emplissait son esprit, occultant toute autre pensée. Si mal... Il avait l'impression d'être pris dans un étau gigantesque, il ne pouvait pas bouger...
*Est-ce que ça va durer éternellement?*
Une pensée. Cohérente. Qui avait franchie le mur de douleur. Il arrivait de nouveau à raisonner, malgré la souffrance, malgré l'interminable caquètement psychotique de la Voix dans sa tête.
*Suis-je en Enfer?"
Et pourquoi pas? Il était seul, il souffrait, et ça avait l'air parti pour durer. Après tout, il ne l'avait pas volé n'est-ce pas? Il avait tué, il était mort, et maintenant il endurait une éternité de supplice... Il était certain d'être mort, comme si c'était une évidence absolue, intuitive autant que raisonnée, une loi cosmique égalant le "cogito ergo sum" de Descartes. Pour ce qui était de l'Enfer... il n'était pas sur. Il s'attendait probablement aux bons vieux stéréotypes, avec des lacs de lave et des démon rouges et cornus qui s'en prenaient aux suppliciés à coup de fourche. Ridicule toute ces sornettes qu'on peut engranger. Il sentait son esprit se déliter sous les coups de boutoir de la douleur, tandis que le chuchotis de son démon intérieur se faisait plus psychotique encore. Il se sentait glisser, de nouveau.
*NON!*
Son corps s'arqua violement, comme il l'avait fait dans cet autre espace temps sur un lit d'hopital. Il se mit à bouger frénétiquement, comme pour échapper à l'invisible poigne qui l'écrasait.
*Que ça s'arrête, par pitié, QUE CELA CESSE! Tout plutot que ça!*
Il ouvrit les yeux. Il était allongé par terre, libre de ses mouvements. L'air sentait la terre humide et les feuilles mortes. Comment était-ce possible? Il se souvenait qu'avant son réveil, il était en ville! Il avait eu cette crise de panique, ce tram et puis... Plus rien. Jusqu'à ce cauchemard.
*Une clairière, pas de flammes ni de diables... ça ressemble plus au paradis qu'à l'Enfer*
Il se leva lentement. La Voix semblait s'être endormie. Elle était silencieuse. C'était la première fois depuis... Un mois? Peut être plus? Cette forêt autour de la clairière n'avait rien de paradisiaque. Elle était sinistre. Mais pas particulièrement menaçante. Il s'avança vers une petite mare, non loin. Il avait besoin de boire. Il avait un gout atroce dans la bouche, un gout de viande morte depuis trop longtemps. Il se pencha lentement pour boire et soudain sauta vivement en arrière en hurlant. Déséquilibré par une racine traitresse, il s'affala lourdement sur le dos et trop terrorisé pour se relever, s'éloigna en rampant. Il y avait un mort dans la mare, un cadavre en putrefaction qui l'avait toisé, qui l'avait dévisagé de l'autre coté de la surface. Il s'entailla la main sur une pierre, et jeta un regard rapide a celle ci. Sursauta. Etouffa un sanglot et ferma les yeux.
*Non... Par pité, pas ça...*
Il se força a regarder. Sa main avait une teinte livide et verdatre, la chair rongée avait laissé l'os à nu en plusieurs endroits. Ils'agenouilla et d'un geste fébrile, remonta sa manche. La putrefaction était généralisée. Alors il comprit. Il se releva et s'approcha de nouveau de la mare. Dans l'onde pure, le cadavre aux yeux mobiles le dévisageait de nouveau. Il en aurait le coeur net. Lentement, il se baissa et mit sa main putréfiée dans l'eau. L'image du cadavre, son reflet, s'estompa. Il était devenu un monstre. La clairière résonna du long hurlement de douleur et de désespoir de celui qui avait été, certe, un être inhumain, mais qui était aujourd'hui déchu de son humanité. Il s'agenouilla dans la boue autour de la mare et hurla encore, de rage cette fois-ci. Il ne se laisserait pas vaincre. Jamais.
Après un rapide examen, il put faire un inventaire de ce qu'il possédait. Son pantalon de velours noir, sa chemise et un pull over, noirs également. Des bottes de cuir noir, à sa taille et en bon état. Une veste noire, mais différente de celle qu'il posédait : plus longue, plus épaisse. Plus archaïque aussi. Pas d'étiquette ni de fermeture éclair, et un tissu ordinaire, quoique chaud et confortable au lieu du tissu imprégné dont on faisait les imperméables dans son monde. Qu'à cela ne tienne. Cette veste longue, avec ses multiples poches intérieures et ses boutons métalliques (en argent?) lui plaisait. Il entreprit de fouiller ses poches. Pas de papiers, pas d'argent. Juste un gros briquet ancien, une pierre a affuter et des scalpels. Treize scalpels. Il avait également une écharpe en laine noire tout à fait ordinaire et parfaitement bienvenue, il faisait frisquet ici... C'était tout. C'était déjà bien. Il rassembla ses effets, et se mit en route, peu importait la direction. Pris d'une inspiration, il s'arrêta devant le premier arbre qu'il croisa et grava, par dérision :
"Saedroth est arrivé ici. Bienvenue dans le septième cercle des Enfers"

[Suite dans L'église ]